Les femmes victimes de violences au sein du couple (Partie 2)

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Nous revoilà, dans notre deuxième partie des femmes victimes de violences au sein du couple ! Pour les retardataires, la partie 1, c'est par ici ! Pour tous les autres, continuons sur la mobilisation et les actions gouvernementales sur cette problématique.

La prise en compte judiciaire

Les violences faites au sein du milieu familial sont toutes considérées à minima comme un délit aux yeux de la loi. Ainsi, tout acte de violence intrafamiliales passe au sein du tribunal correctionnel est, comme tout délit, passible d'une peine maximum de 5 ans de prison et d'une amende maximum de

Au niveau Gendarmerie et Commissariat, les violences au sein du domicile sont devenues des priorités, notamment celle des femmes victimes de violences. De la bousculade à la gifle au règlement de compte, tout fait de violences pour lesquelles les Forces de l'Ordre sont mandatés doivent être traité. Ainsi, que ces faits viennent d'une plainte, d'une intervention sur voie public ou la réception par la plateforme de signalement de faits de violences amènent un même traitement. 

Toutes ces procédures doivent être transmises au tribunal compétent. Même une main courante, qui n'est pas censé partir, doit être envoyé lorsqu'elle concerne des violences intrafamiliales. En Gendarmerie, les mains courantes sont interdites et, à minima, les agents effectuent un Renseignement Judiciaire (RJ) à vocation d'envoi au Parquet qui se saisira ou non en fonction des éléments évoqués.

Les saisines du juge ont augmenté suite à la lutte effective contre ces violences et les décisions ont évolués. Pour avoir assister à différents jugements, Le Parquet et le Siège se montrent de plus en plus sévères sur mon département. Les classements se font rarement lors de violences constatées. Des alternatives aux peines ont été développés : parmi elles, on retrouve aujourd'hui des sanctions comme des stages de sensibilisations aux violences conjugales, des rappels à la loi plus nombreux, des obligations de soins, ou récemment, le dispositif des Bracelets Anti Rapprochement. Ces sanctions peuvent être prononcé avant audience pour éviter les délais judiciaires (ce qu'on appelle alors une composition pénale) ou par jugement.

Je pourrais encore parler des démarches civiles renforcées dans ces situations, par exemple l'Ordonnance de Protection et la saisine du Juge aux Affaires Familiales (JAF) en référée, permettant une action coordonnée avec ces situations de crise et d'acter des décisions en adéquation. 

La prise en compte social

Les services sociaux sont tous impactés par cette problématique, car les situation de violences amènent ou sont amenées par des situations fragiles ou précaires. Au niveau des démarches, les situations de violences conjugales ont été mis en lumière pour une priorisation plus importantes pour les femmes victimes.

Au niveau hébergement, les institutions jouent le jeu et priorise tout femme victime de violence au sein du domicile ayant besoin de partir en urgence. Dans mon département, un accueil à l'hôtel pendant une durée de 15 jrs renouvelable est possible, le temps de travailler une demande en hébergement d'insertion. Lors de situations très inquiétantes nécessitant une mise à l'abri immédiate, un bon de nuitée peut être délivrée dans ce cadre afin de protéger la victime et qu'elle puisse ensuite nous rencontrer pour la suite des démarches. 

Au niveau logement, le droit des femmes victimes sont renforcées : Lors des interventions, le mis en cause peut être plus facilement évincé du domicile (via les GAV), les victimes peuvent sous certaines conditions résilier leurs noms du bail sans préavis, peuvent travailler des mutations de logement plus vite avec les bailleurs et les demandes de logement social gagnent en priorité dès lors que des violences ont été commises et dénoncées.

Certaines procédures sont aussi assouplis comme les demandes de titre de séjour.

Au niveau financier, il n' y a pas d'aide supplémentaire mais certaines d'entre elles se débloquent et des modalités sont écartées : la demande de Revenu de Solidarité Active (RSA) voit son attribution simplifié, le versement des pensions alimentaires sera prochainement gérée par la CAF en intermédiaire, garantissant le versement, ou les aides familiales s'enclenchent plus simplement.

Au niveau des enfants, toute violence dans la famille auquel les enfants ont pu assisté ou non provoque systématiquement un envoi aux services départementaux pour une évaluation de la situation.

En résumé, une réelle volonté territoriale est lancée pour lutter contre ces violences faites aux femmes. Seulement, vous vous en doutez un peu, des carences sont encore nombreuses malgré certains discours politiques. 

Les limites actuelles et à venir

Mon avis est assez clair : il y a un paquet de limites. Je me questionne régulièrement sur la pertinence et la plus-value de cette envolée d'action vu les effets concrets que j'ai pu voir. J'en liste quelques unes qui pour moi sont les plus percutantes : 

Le dépôt de plainte, obligatoire pour les démarches sociales

Mme A : Mais je suis victime de violences ! Comment ça se fait que je n'y es pas droit ?

Moi : Je le sais bien, Mme A, mais vous n'avez pas de documents, vous n'avez pas déposé plainte...

Mme A : J'ai pas envie de lui poser des problèmes aussi, je veux juste partir !

Extrait d'entretien avec **Madame A**, personne suivi dans mon travail,
qui souhaitait solliciter une demande de logement accéléré suite aux violences subies

Tout dispositif social, pour être utilisé en tant que victime, doit être accompagné d'un document irréfutable. Il faut "prouver qu'on est victime de"... Pour cela, seul le dépôt de plainte légitime la demande pour violence. Les mains courantes ne fonctionnent pas.

Seulement, la détresse d'une personne est réelle. Ce tri sélectif fait parce qu'elle n'a pas le dépôt de plainte est dur à entendre, et à raison.

Surtout qu'au final, un dépôt de plainte n'est pas le reflet d'une réalité mais n'est "qu'un document judiciaire" prouvant une dénonciation d'infraction contre une personne à notre encontre...

Dans certaines démarches, les dépôts de plainte ne sont pas suffisants. Par exemple, résilier le bail sans préavis ni clause de solidarité nécessite une décision de jugement avec sanction prononcé, d'une sanction par le procureur ou de l'exécution d'une Ordonnance de Protection. Il faut, là aussi, prouver qu'on est victime, mais surtout, que la Justice nous reconnaisse comme tel.

Bref, il faut qu'une une sanction ou action soit prononcé, ce qui amène à la limite suivante.

Le "quoiqu'il en coûte" des violences : la judiciarisation systématique

Aujourd'hui, l'action judiciaire est le socle principale de la lutte contre les violences. Elle est préconisé pour ces actes, au point de sortir l'armada à chaque action. La réalité derrière cette omniprésence provoque un impact sur de nombreuses institutions et de nombreuses personnes.

[...]
Moi : Vous savez, comme vous avez déposé plainte, il y aura une enquête et...
Madame B : Ça veut dire qu'on va mettre Monsieur en prison ?
Moi : Pas forcément. Ça veut dire que la Gendarmerie va peut être compléter votre audition, faire une enquête de voisinage et, à la fin, va convoquer Monsieur pour le mettre surement en Garde à Vue le temps de l'auditionner et de savoir si il va passer devant le Juge pour être sanctionner...
Madame B : Mais j'ai jamais voulu ça moi ! J'ai appelé parce que j'avais besoin d'aide ! Pour qu'on l'aide !
[...]

Extrait d'entretien avec **Madame B**, personne suivi dans mon travail 
suite à des violences au domicile par le partenaire

Les personnes ne sont pas systématiquement informés de la portée de leur audition ou plainte. Nombreux sont les personnes ne comprenant pas la démarche lorsqu'elle dénonce des violences au sein du domicile. Lorsque je me retrouve à expliquer à une personne que je reçois la portée de l'action judiciaire, j'ai régulièrement une victime démunie car elle n'imaginait pas ça. La Justice ne vous demande pas votre avis. S'adresser aux Forces de l'Ordre, c'est demander à l’État une réponse uniquement judiciaire et rien d'autre. C'est demander à la Justice d'intervenir et perdre toute maitrise dans votre vie. C'est d'exposer votre vie privée et intime qui n'a plus de cadre, plus de raison d'être privée. C'est être prêt à être interrogé, remis en doute, en tant que victime ou mis en cause. C'est être pris dans un rouage qu'on ne maitrise pas.

On crée une dépossession du parcours de la personne, c'est flagrant : Vous n'êtes pas "prêts" ? Tant pis ! Car l'important est de VOUS protégez, avec ou sans votre accord. Le travail de la Justice doit être fait. Ce point m'interroge sur la volonté de l’État : veut-on agir pour protéger, ou juste prouver qu'on agit contre les féminicides ?

Enfin, chaque action judiciaire entraine des procédures lourdes et longues pour les institutions : auditions, enquêtes, recherche de preuves et d'éléments, garde à vue, confrontation, potentiellement le concours de l'ISCG ou d'autres associations, passage en déferrement et j'en passe... Une atteinte aux personnes demande beaucoup plus de temps de traitement qu'une atteinte aux biens, notamment pour l'accompagnement de la victime. Imaginez recevoir une personne qui vous évoque des violences : Interroger sur les violences, ça n'est pas comme discuter de la pluie. Creuser chaque violence peut être long et rapidement chronophage. Une audition pour violences prend, aujourd'hui, lorsqu'elle est fait correctement, entre 2 et 4h ! Presque une demi-journée d'audition ! Ajouter à cela l'état des victimes, le sous effectif conséquent des Forces de l'Ordre, le manque de formation et vous obtenez, par moment, des traitements à l'emporte pièce, des erreurs de traitement, un empilement de dossiers etc...

Le partenariat " en marche " ?

Dans l'entretien de Mme Marlène Schiappa, ministre de la citoyenneté, à RTL le 1er juin 2021, sur les féminicides et les dérives sectaires, elle avance le fait suivant :

[...] Avec le Grenelle des violences conjugales, enfin, on a réussi à mettre autour de la table plusieurs personnes, plusieurs corps, qui ne travaillaient pas suffisamment ensemble, [...] et à prendre des mesures qui sont fortes [...]

Derrière, Alba Ventura, la chroniqueuse, rétorque :

[...] la plainte de Stéphanie n'a pas été transmise au Parquet, [...] et la justice n'a pas cru bon d'informer à l'inverse le commissariat du retour de cet homme chez lui. [...]

Ce maillage partenarial est vitale et le gouvernement l'a compris, mais la réalité de ce partenariat reste mitigé, qu'il soit dans un département ou sur le plan national. Cette réalité mitigé concerne autant les services sociaux que les services judiciaires. Elle concerne des protocoles à mettre en place qui n'arrivent jamais, par exemple par les mairies ou bailleurs sociaux, mais également des protocoles en place qui ne fonctionnent qu'à moitié ou pas du tout.

J'ai pu voir ces nombreux partenaires qui montrent des intentions pour les femmes victimes de violences, mais n'offre rien de bien serieux. 

J'ai une anecdote marquante la dessus : J'étais de perm' à l'hôpital et je suis intervenu sur une situation aux urgences pour une femme victime de violence par le mari. La dame et son bébé de 2 mois ont été reçu de nuit. Il faut savoir que depuis les actions de luttes contre les violences faites aux femmes, les hôpitaux peuvent signaler directement au procureur des situations de violences conjugales pour une intervention de la police ou gendarmerie à l'hôpital, prendre possiblement une plainte et déclencher une enquête. Les médecins de n'importe quel service qui peuvent contacter le tribunal, mais les premiers concernés sont les médecins urgentistes.

Le médecin de garde me demande ce qu'il doit faire. Je lui explique, après vérification auprès de mes collègues juriste de la démarche. Il doit appeler la perm' Parquet ( donc du Procureur ) mais le médecin ne souhaitait pas appelé parce que "on nous demande pourquoi on les appelle et ça prend trop de temps". Je suis resté pour constater ces propos. Après 40 minutes d'attente, la parquetière a envoyé bouler le médecin. J'ai dû intervenir pour expliquer le protocole, qu'elle a dû vérifier avec le substitut du procureur référent. Je me suis retrouver à expliquer le boulot de la substitut à ... La substitut.

Et ça, c'est symptomatique du partenariat dans les établissements du public.

Les féminicides, curseur politique ?

[...] On a fait baisser en 2020 le nombre de féminicides, peut-être suite aux confinements, mais peut-être aussi suite aux mesures du Grenelle des violences conjugales. [...]

Le fameux curseur des violences conjugales aux yeux des politiques : les féminicides. Et effectivement, les chiffres sont à la baisse. Mais comme je l'ai indiqué en 1ère partie, les féminicides ne sont que 0,001% des violences faites au sein du domicile dont 80% de femmes en sont les victimes. Ce ne sont qu'une infime partie de la réalité des violences constatées au quotidien au sein des brigades, des commissariats et dans mon travail.

Les actes de violences faites aux femmes augmentent, les dénonciations et l'intervention judiciaire aussi. Mais on ne traite les situations que par ce voile de "la peur du meurtre". Lorsqu'on entend un procureur expliqué à une brigade qu'elle doit aller chercher un mis en cause hors de son département sinon "si la victime meurt, vous en serez êtes responsable"... Couplé aux médias qui, au lieu d'exposer des situations autres, des solutions, des possibilités, ne cherchent que l'institution responsable du meurtre et non le 1er responsabl, qui est l'auteur du meurtre en lui même.

Cette peur crée des oeillères sur cette politique qui ne donne que l'illusion de chercher à enrailler la problématique de violences faites aux femmes.

D'autres limites encore bien présentes

Je passe sous silence de nombreuses questionnements notamment l'accueil des victimes, la "sur-victimisation", la considération des intervenants extérieurs, les temporalités institutionnels, le travail avec les mis en cause quasi-absent, le suivi des victimes dans le temps, la problématique d'emprise qu'on couple aux problématiques sociales de base comme le relogement, la fragilité financière, l'isolement, l'estime de soi-même et de l'autre...

Le mot de la fin

Après un an et demi sur le terrain, je constate les efforts territoriaux, mais je ressors avec un goût amer...

Quel est l'enjeu de cette politique de lutte ?

Ma réalité, à mon niveau, c'est que le Gouvernement actuel à décider de judiciariser à l'excès la problématique de violence pour agir contre les féminicides. Et c'est tout. Certes, des actions sont faites et permettent d'aider les personnes les plus en difficulté.

Mais est ce que la réponse aux violences faites aux femmes, aux violences intrafamiliales est une réponse judiciaire ? Ne pensons donc nous pas que la difficulté peut venir d'ailleurs ?

N'est ce pas aussi un problème de considération de la femme par l'homme ? Car dans la plupart des situations que je rencontre, ce sont des mis en cause qui ne "se remettent pas en cause". Qu'une "femme, si elle ne rentre pas à l'heure, elle se mange une gifle" ? Qu'elle est là pour les enfants et la famille ? Qu'on lui indique que ça ne sert pas de travailler, "vu que je rapporte les sous" ? Même parfois, ce sont des hommes qui ont tout simplement vrillé car la situation devient ingérable au domicile. 

Pourquoi ce problème de violences faites aux femmes ne serait pas un problème d'éducation des hommes ? Basé sur une domination patriarcale? En bon maître de famille ?

Une action répressive est nécessaire dans les cas de violences. Mais un travail de sensibilisation doit l'accompagner pour que les hommes comprennent et se remettent en question. Lutter contre les violences, c'est lutter contre les clichés, les aprioris, contre la domination masculine chronique.

Mais ça...

...Les politiciens, majoritairement des hommes, en sont encore bien loin... Très loin même...

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